7 ans de malheur

Publié le par Céline

Samedi dernier, en sortant de mon exam d'arabe (étonnamment facile, incroyable !) j'étais en vacances à 100% ! Youhou ! Retour chez moi en 4ème vitesse, il y a du soleil mais quel froid ! D'ailleurs ça tombe bien qu'il fasse beau, parce que, le temps de sauter dans ma robe, et je file au mariage de Salwa ! Direction Epinal, dans une ambiance plus que guillerette !...
Jusqu'à ce putain de panneau... Je ne l'avais pas vu venir... Je n'avais pas reconnu la route, cette route que j'avais prise tous les jours pendant 7 ans et que j'avais voulu oublier.
"Flavigny sur Moselle"
Et là l'humeur se prend une torgnole en une fraction de seconde. Je ne vois plus le soleil et le froid me fait frissonner. Pourquoi les souvenirs nous assaillent toujours quand il se trouve un bon moment ? Puisque ce souvenir me glace encore les sangs, je me suis promis de vous en parler. Puisque 7 ans plus tard je peux un peu en parler.

Alors voilà, au flanc de la colline, il y a Flavigny sur Moselle. Petit village paumé, qui aurait pu être charmant s'il n'avait pas hébergé le centre pour handicapés ou j'ai passé mes années collège et lycée.

Avant, tout s'était déroulé à merveille ! La maternelle du quartier était accessible et m'a accueillie sans soucis. Pour l'école primaire il a fallu quelques démarches à mes parents, et j'ai pu passer de belles années en classe avec mes copines de quartier ! Rien à en dire, enfin si, que des belles choses, des superbes souvenirs, des copains et copines extras, et moi dans tout ça "comme si de rien n'était" ! Le handicap ? Bah : un détail, on adapte nos jeux (je jouerais même à l'élastique, je me demande encore comment aujourd'hui ! :-)), et on y pense même pas !

Mais voilà, à 11 ans il faut bien quitter l'école et passer un grade, direction collège !... Oui sauf que le collège du coin n'est pas du tout accessible, et n'envisage pas de l'être avant plusieurs années. Mes parents font le tour des collèges de la petite ville, aucun ne l'est. Il y en aurait peut-être un qu'on pourrait faire changer d'avis et adapter, mais c'est pas gagné. Ils étudient d'autres solutions, comme Flavigny : c'est un établissement qui dépend de l'éducation nationale, donc enseignement normal, mais avec le côté pratique du tout adapté (hum), du personnel dispo pour nous aider (hum-hum), et les séances de kiné casées dans la journée. Ils voient le côté pratique, pendant que moi, peu m'importe où j'atterrirais : je sais ne serais pas avec mes copines, et du haut de mes 11 ans c'est la pire chose qui pouvait m'arriver, alors après, ici ou ailleurs, rien ne me tente... Même si cette solution ne me tente particulièrement pas !

Alors voilà... Direction Flavigny... "Et là, c'est le drame", conclurait tout bon reportage sensationnel. Alors que j'avais appris pendant 11 ans que j'étais "comme tout le monde" je me retrouve noyée dans une masse d'individus programmés à être "différents", "anormaux", qui ont toujours appris à se comporter comme tels, et qui me signifient très clairement que je n'ai pas à faire ma mijaurée, je suis "des leurs"... Seulement y a rien à faire, NON je ne suis pas comme eux ! Moi j'ai une vie, ou en tous cas j'en avais une ! Une vraie, une chouette, une belle ! Je me fous de connaître leur ersatz d'existence, tout ce que je sais c'est que ça ne me ressemble pas ! Surtout lutter. Ne PAS leur ressembler. Ne pas me laisser assimiler à ces choses boîtantes, titubantes, roulantes, bavantes, criantes, bêtifiantes, collantes, effrayantes... Aïe ça y est je vais passer pour une fille super intolérante et même carrément méchante ! Mais je crois vraiment être réaliste. Aujourd'hui je ne leur en veux pas d'être comme ça, ils m'inspirent surtout de la pitié, parce que je me rends bien compte de l'influence de leur milieu, (pour la plupart) qui les a poussés à se comporter comme ça. Ils ont été l'enfant différent, l'enfant à part, pesant, gênant, qu'on a "placé", qu'on cache en l'isolant, ou bien trop fragile, qu'on met sous cloche, à l'abri du monde réel, qu'on laisse vivre dans des chimères... Et tout le milieu médical s'accorde à les maintenir dans ce rôle d'êtres de second rang, les infantilise, les humilie, et abuse de leur faiblesse dès que possible. Non pas "tout le milieu médical" évidemment, il y a des résistants, bien heureusement. Mais peu nombreux, et le consensus autour d'eux est tellement fort que souvent ils se laissent subvertir.
Tout ce monde qui voudrait bien m'engloutir, me fondre dans leur moule tellement pratique, pré-programmé... Et moi haute comme une petite pomme de 11 ans, discrète et un peu paumée, je sens bien que ça ne me va pas tout ça, mais je n'ai absolument pas la force de me révolter et ruer dans les brancards... Je regrette un peu aujourd'hui de ne pas avoir tout explosé, de ne pas avoir envoyé chier toutes ces charognes. Mais l'essentiel c'est que mon esprit est resté intact. Pendant 7 ans j'ai été la petite fille sage, polie et pas dérangeante qu'ils attendaient. En surface au moins. Je me suis mise "en veille". J'ai attendu. Attendu 7 longues années que me vie reprenne.
"7 ans de malheur"... Sûrement un sacré miroir que j'ai cassé !... 7 années de plat, de vide, de surface, de rage contenue, d'envie d'exploser, mais de résignation. L'attente, c'est vraiment l'image qu'il m'en reste. Je me vois dans les couloirs bleu pâle décrépis, seule pour fuir la mauvaise compagnie, en attendant la prochaine heure de cours, la fin de la journée, la fin de l'année. L'attente qu'une personne daigne s'occuper de moi. Attendre qu'elle ait fini de se lamenter qu'elle n'a pas que ça à faire. Attendre qu'elle se taise, par pitié. Aux toilettes (pendant la période "délicate" du mois :-)), les entendre meugler à qui le voudra "Ohhhhhh mais on égorge le cochon iciiiiiii" "Aaaaah tu fais la petite Céline ?!" lui répondra (hurlera) sa collègue... Elle se tait la petite Céline et ça vaut mieux pour vous. Une autre image qui me reste, c'est les repas au réfectoire. Le moment de la plus grosse concentration d'handi sur un périmètre réduit... Les uns bavant, les autres criant, d'autres encore qui s'en mettent partout et se marrent... Souvent dans ces moments je sentais le temps s'arrêter, je m'éclipsais "mentalement" de cette atmosphère, et je voyais la scène comme de l'extérieur avec une petite voix qui me berçait "je ne suis pas comme eux... je ne suis pas comme eux...".
Je m'estime heureuse, je n'étais pas pensionnaire, je quittais ce milieu tous les soirs. Je n'ai pas eu à subir les nuits à l'internat, les sonnettes qu'on presse frénétiquement en attendant que la veilleuse ait fini son café, les douches où l'on nous laisse grelotter le temps d'aller raconter la dernière à la collègue, les soirées trop longues... (Bon vous l'aurez compris, je l'ai vécu quelques nuits ponctuelles !) Mais ceux qui ont enduré ça au quotidien, brrr c'est inconcevable ! Ce mépris, cette condescendance qu'on nous envoie.... Quand ce n'est pas du pur sadisme, comme cette veilleuse qui débranchait purement et simplement les sonnettes des plus lourdement paralysés, qui avaient besoin d'être bougés trop souvent dans la nuit... (et là question attente...) Ou encore cette aide-soignante, qui devait être la secrétaire d'Alex, un collègue de ma classe assez timoré, pour le bac blanc, et qui n'a pas arrêté de faire des aller-retours pour aller partager le café avec les copines, pendant qu'Alex "réfléchissait". Quand je lui ai fait remarquer, par la suite (oui je commençais à moins m'écraser, c'était la fin ! ;-)), elle a eu l'air amusé, puis m'a dit dans une infecte moue de mépris "Oh pfff tu sais Alex hein !..." "Mais non, quoi "Alex" ???" (bon c'était pas une lumière notre Alex mais laissons-lui une chance, merde) "Ben le bac, Alex, tu sais... !!!" Une fois de plus je n'ai rien répondu mais vu ma tête, elle a très bien compris le message... Mais c'est moi qui aurais adoré voir sa tête quand elle a appris qu'Alex a décroché son bac du premier coup... L'imaginer me suffit, quel bonheur !

Hé bien voilà, on arrive au bac... Parce que moi aussi je l'ai eu hein ! ;-)
Et là, le bonheur total ! Encore 2 mois et je vais à la fac, j'attaque ma nouvelle vie. Tout à construire. Oui vraiment tout. Parce que dans ces conditions là, entre 11 et 18 ans, l'adolescence, le moment ou tout est remodelé, où on doit forger notre caractère, s'éloigner de ses parents pour se rapprocher de ses pairs, vivre toutes sortes d'expériences... Hé bien je ne sais pas trop ce que j'ai pu construire à ce moment là. Rien de bien solide. Heureusement que j'avais fais le plein avant... Et je me suis rattrapée après ! :-D Il m'a fallu un temps d'adaptation, bien sûr, ou plutôt de réadaptation. Je ne savais pas à quoi ça ressemblait un jeune de mon âge. Comment ça s'aborde ? Comment ça marche ? Bon je crois que j'ai vite réappris ! :-) Ouf, alors je ne m'étais pas trompée, c'était bien "mon monde" que je retrouvais... Je n'ai pas perdu mon identité...

Alors voilà. Pendant quelques années, j'ai fermé solidement la porte de ce placard, indispensable pour attaquer MA vie. J'ai tout oublié, volontairement. Et puis au fil du temps les images, les visages, les noms, sont remontés à la surface, petit à petit, par surprise...

Aujourd'hui, 7 ans sont à nouveau passés. Il m'a bien fallu ça. J'ai 25 ans, et si le constat de ma vie n'est peut-être pas celui que j'avais imaginé, je suis plutôt soulagée de voir où j'en suis arrivée. J'ai retrouvé une vie. Ma vie, mes amis, mon chez-moi, mes projets, ma personnalité...
La "honte" inexpliquée de cette période de ma vie, s'efface de plus en plus devant la fierté de m'en être si "bien" sortie...

J'l'aime ma vie, on ne me la volera plus ! :-)


Merci de m'avoir lue jusqu'ici ! ;-)

Publié dans celinextenso

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F
Je suis complètement effrayée par ce post... J'ai une amie qui est à Flavigny... Elle est handicapée moteur et ne peux pas non plus parler, mais pas handicapée mentale...Et jusqu'à présent je n'avais jamais eu d'échos de ce genre, je penseais que Flavigny était plutôt bien... Alors je ne sais pas si elle le vit mieux, ou si c'est juste moi qui n'ait pas été à l'écoute, ou si ses parents ne s'en rendent pas compte non plus...Ca m'effraie de m'imaginer la vie là haut, et plus que ça, ça m'horrifie de me dire que personne n'y fait rien... Drole de monde dans lequel nous vivons....
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C
Je ne sais pas quoi lui souhaiter...De ne pas se rendre compte, c'est tellement plus vivable...Mais de toujours se rendre compte, pour rester vivante...A moins qu'elle ne soit mieux tombée que moi, si seulement !
S
J'ai longtemps réfléchi dans l'espoir de trouver quelque chose d'intelligent à dire, mais non, ça va pas être possible, je reste sans voix devant ça. Je suis révolté, dégouté, et tellement déçu par ce beau pays, où tout va bien pour toi tant que tu n'es ni gros, ni black, ni beur, ni petit, ni handi, ni chômeur...Mais je m'égare...J'aimerais ouvrir ma fenêtre et gueuler, prendre certains grincheux par le col et les forcer à lire ça, les forcer à lire ce qu'écrit Ioana aussi, leur faire comprendre que quand il n'y a plus d'agraffes dans la photocopieuse, c'est pas la fin du monde, et que pendant qu'ils attendent que leur café ait fini de couler, il y a des gens qu'on néglige et qu'on brime, et que ça aurait pu être eux...Et ça aurait pu être moi, et ça pourrait être tout le monde. Toujours la même chose, hein. Certains font un distingo entre handicapé et personne. Il y a les personnes d'un côté, les choses boîtantes, titubantes, roulantes, bavantes, criantes, bêtifiantes, collantes, effrayantes de l'autre...Tous ces mots me semblent tellement vain... alors que je voudrais juste essayer de communiquer la tristesse et la colère qui se sont emparées de moi quand j'ai lu ce texte... Je t'embrasse CélineBisou(s)
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C
Des agraffes dans la photocopieuse ? Ah c'est de la photocopieuse haut de gamme ça déjà... Mais non Samy, ils sont très bien ces mots, et moi aussi je t'embrasse, ça suffit... :-)
I
oui céline et c'est tout a ait le meme genre... pas simple...bisous doux: passe une bonne soirée
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C
Allez, on les brûle ?! ;-)(Réponds pas, c'est pas une vraie question hein, je te vois venir ! :-D)
I
tout a fait comme le centre ou j'ai décrépi pendant plus d'un an...lerci céline pour cet article qui reflete la réalité
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C
Ah t'y as eu droit aussi ?... :-/
I
Ouf, tu t'es échappée !C'est pas drole d'avoir vécu cette scolarité, les personnes handicapée doivent être mélangée au autres. J'espère que les lycées sont tous accessibles aujourd'hui.BisousIsa
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C
Oui, échappée de ce drôle de zoo...Je pense au moins que dans chaque ville, il y a un lycée accessible...